Le parcours d’une demandeuse d’asile membre de notre Association: de la Côte-d’Ivoire à l’AMEIPH – 1re partie

 L’équipe de l’AMEIPH a décidé de vous raconter le parcours de ses membres. Nous commençons par l’histoire ci-dessous, qui se déroulera en quelques épisodes. Nous espérons que cela pourra vous inspirer et vous donner des outils dans vos démarches.
 
Quitter la Côte-d’Ivoire
Avec sa canne blanche, elle arpente les rues de Montréal depuis plusieurs semaines. Vous pourriez l’avoir croisée sur le boulevard St-Laurent, ou dans le métro. Vous aurez probablement pensé qu’il s’agit d’une personne aveugle. Ce serait une bonne hypothèse, puisque cette personne n’a que 10 % de vision. Vous auriez admiré son courage de se déplacer sur les trottoirs glacés et d’affronter le froid, avec ce handicap supplémentaire. Sauriez-vous qu’elle était en direction d’un organisme communautaire, l’Association multiethnique pour l’intégration des personnes handicapées (AMEIPH), pour participer à ses activités, s’impliquer, débattre, faire avancer les choses, améliorer sa condition? Voilà vers quoi elle marche… et elle arrive de loin.

Débarquée à l’AMEIPH en septembre 2019, quelques jours après son arrivée au Québec, l’histoire de Sara[1] se doit d’être connue.

Âgée de 39 ans, Sara est à Montréal avec un statut de demandeuse d’asile. Elle a fait cette demande lors de son entrée au Canada le 5 septembre dernier, et sa demande a été jugée admissible, donc elle doit maintenant préparer son dossier, qu’elle présentera dans quelques mois devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) aux fins d’audience. Selon le site du Gouvernement du Canada, « pour prendre sa décision, le CISR détermine, entre autres, si le demandeur correspond à la définition d’un réfugié au sens de la convention établie par l’Organisation des Nations Unies, laquelle a été adoptée dans les lois canadiennes, ou s’il est une personne à protéger. »[2]

Pour rester ici, Sara devra donc prouver qu’elle était en danger dans son pays d’origine. Quel est-il, d’ailleurs ce pays, et qu’est-ce qu’elle a fui?

Pourquoi fuir?
Originaire de la Côte-d’Ivoire, Sara m’explique : « J’ai dû fuir une menace culturelle traditionnelle liée à la famille ». Depuis 2016, elle avait en main un visa visiteur d’une durée de trois ans lui permettant de se rendre aux États-Unis. Elle y était allée brièvement en 2016 pour suivre une formation offerte par l’Union mondiale des aveugles, mais était revenue tout de suite après en Côte-d’Ivoire, n’y étant pas menacée à ce moment. Étant mère de deux enfants jumeaux de six ans, elle les élevait en compagnie de sa sœur aînée et de sa mère depuis qu’elle s’était séparée de son mari lorsque ses enfants avaient 1 mois. Le village, qui l’a beaucoup instrumentalisée en raison de son handicap et qui la croyait incapable de s’occuper seule de ses enfants, a alors tenté de la remarier avec un homme fortuné qui avait environ le double de son âge, ce à quoi elle s’opposait. C’en était trop.

« Je suis partie, en laissant mes enfants au soin de ma mère et ma sœur. Je suis allée au Togo, pour ensuite y prendre un avion en direction de Shreveport en Louisiane, aux États-Unis. » Elle y arrive en avril 2019 et est accueillie par une famille qu’elle ne connaissait pas, mais qui avait accepté de la recevoir. Une famille avec laquelle elle avait été mise en contact interposé par une connaissance du Togo.

« Sur le territoire américain, j’espérais obtenir le green card (carte américaine de résidence permanente). La famille qui m’a accueillie m’a bien fait comprendre qu’obtenir le green card n’était pas une chose si facile que ça. On m’a dit qu’il allait falloir que je sois patiente. »

L’autre priorité était de trouver du travail. Son visa ne lui permettait cependant pas de travailler légalement. « Ce ne fut par contre pas très compliqué, parce que beaucoup de petits boulots sont disponibles pour les sans-papiers. Les Américains de souche ne font pas ces boulots et ça ne les dérange pas de laisser ça aux sans-papiers. » D’ailleurs, les patrons ont un système pour nous prévenir à l’avance lorsque que la police de l’immigration vient faire des contrôles, qui sont très fréquents. « Même dans la rue, dans ton appartement, on peut te demander tes papiers. C’est complètement différent de où je vis, ici à Montréal. »

À partir de mai, Sara combine deux petits jobs. Elle travaille au salon de coiffure de sa « sœur » d’accueil, en faisant des tresses, en plus de faire de l’entretien ménager dans un autre magasin. Elle récolte un peu d’argent et est logée dans sa famille d’accueil.

En août, elle a amassé assez d’argent pour aller rencontrer un ophtalmologue américain. Le coût est salé : 400$. « Le médecin m’a dit qu’il y avait une éventualité d’un traitement au laser, et qu’il fallait des examens supplémentaires pour vérifier si je pouvais faire l’opération. Le traitement coûtait des milliers des dollars. Je lui ai dit que j’allais revenir pour prendre le rendez-vous et je ne suis pas revenue. Le 400 $, c’était ma paie de tout un mois. », raconte celle qui est aujourd’hui membre de l’AMEIPH.

Le temps file, et Sara doit prendre des décisions rapidement : « Mon visa allait expirer bientôt, en septembre 2019. J’ai été face à une grande désillusion. À partir du moment où mon visa allait expirer, j’allais être dans la clandestinité, et je n’aimais pas ça. De plus, mes enfants allaient avoir leur rentrée scolaire en Côte-d’Ivoire, je savais que j’allais avoir besoin d’argent pour leur en envoyer, en plus des 150 $ que j’envoyais déjà mensuellement à ma famille là-bas. »

Sans possibilité d’obtenir la green card rapidement, très visible en raison de son handicap, stressée par les multiples descentes de la police de l’immigration, et à la veille d’être dans l’illégalité, elle cherche une solution de rechange. Alors qu’elle fait le ménage dans le magasin, elle « laisse aller ses oreilles » lorsqu’elle entend deux hommes parler de Roxham Road, un chemin de passe menant à Montréal, au Canada.

La suite bientôt dans un prochain article.

[1] Le nom de cette membre a été modifié par souci de confidentialité.
[2] https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/demandes-asile.html